S O du 24 10 2008

PONTONX. Hélène Copigneaux a choisi l'usine Sony comme sujet de son Master. Pour la sociologue, le groupe japonais s'est appuyé sur la sédentarité locale pour se développer. D'où « l'arrachement » actuel

« Plus qu'un lieu de travail »

 

Spécialisée dans la fabrication de cassettes VHS, l'usine de Pontonx devait un jour ou l'autre fermer faute de reconversion. Une évidence sur le plan économique, un drame au niveau social et humain photos philippe salvat et david le déodic

3 « Sud Ouest ». Comment avez-vous été amenée à travailler sur l'usine Sony ?

3 Hélène Copigneaux. J'avais orienté mon Master sur la sociologie du travail. En Master II, j'ai ciblé sur les liens développés entre entreprise et territoire (1). L'intérêt de Sony me paraissait évident vu l'empreinte locale laissée par cette entreprise. À mon arrivée il y a huit ans, ma première impression, subjective, est que tout le monde travaillait chez Sony. Des gens de ma génération, entre 40 et 50 ans, que je rencontrais dans les associations.

3 Lorsque vous avez réalisé votre étude en 2006-2007, avez-vous pressenti ce qui se passe aujourd'hui ?

Les gens parlent de la fermeture depuis six ans comme de quelque chose qui plane, qu'on sent venir. Avec la diminution des cassettes VHS supplantées par d'autres supports, il était évident que la production diminuait. Mais les gens ne voulaient pas voir, ne pouvaient pas accepter que cela ferme. Pendant très longtemps, les salariés ont pensé qu'ils pourraient y avoir un arrangement. Aujourd'hui, on est dans le combat classique avec des salariés qui veulent des garanties.

3 Dans votre mémoire, vous soulignez que le syndicalisme n'est réellement apparu qu'en 1999 au moment de la mise en place des RTT ?

Oui. Jusque-là, les salariés ne voyaient pas la nécessité d'une organisation autre qu'un syndicat maison. Pour quelles revendications ?

Les opérateurs notamment sont très attachés à une entreprise qui leur a tout donné : un avenir, un revenu, une reconnaissance sociale, un enrichissement personnel, vu leur niveau scolaire. Après le scepticisme de départ (c'étaient des Japonais qui arrivaient, même pas des Parisiens !), c'est quelque chose d'extraordinaire qui arrivait à ces hommes dont la plupart avaient 18 ans. Ils ont mûri avec l'entreprise, l'ont vue s'agrandir. On était dans une sorte d'euphorie. À un moment, trois millions de cassettes sortaient par jour !

3 Vous soulignez aussi la sédentarité des opérateurs par rapport à la mobilité des cadres.

Oui. Pour cette catégorie de la population d'origine rurale et sans cursus scolaire très long, l'attachement au territoire est fondamental. S'éloigner, c'est se perdre soi. Si Sony n'était pas arrivé, la sociabilité locale se serait effilochée. La thèse sociologique classique est qu'avec le développement économique, la modernité chasse les repères traditionnels. Sony s'est au contraire appuyé sur la sédentarité locale, sur une certaine obéissance et une relative passivité. Il n'y pas là de jugement moral. Mais le groupe a tablé sur ces jeunes hommes pour qui le nord de l'Adour est l'étranger et qui ont besoin de se référer à leur terre.

3 Et les cadres ?

La majorité n'est pas issue de la région. Certains ont senti le vent tourner et sont déjà partis. Dans le milieu du travail, les cadres s'affirment au contraire par une prise de distance physique avec leur territoire local. Dans l'entreprise, ils sont plus proches de la direction, moins syndiqués que les ouvriers, soumis à des pressions des deux côtés.

3 Comment expliquez-vous la fronde de la majorité des salariés ? Leur refus de donner un avis sur un projet de reconversion dans le photovoltaïque alors que c'est un secteur dit d'avenir ?

Oui, mais ce n'est pas Sony ! Je comprends très bien leur position. Pour eux, Sony est bien plus qu'un lieu de travail. L'entreprise ne produit pas seulement des objets, mais de la culture, de la solidarité, des modes de vie. Être Sony, c'est appartenir à une grande famille. Les salariés ne partent pas le matin s'enfermer à l'usine, parce qu'il n'y a pas de cloisonnement entre vie privée et publique. Cette interpénétration résulte aussi de la philosophie japonaise. Ayant tout reçu de Sony et tout donné, les salariés n'ont pas du tout envie de le quitter. Le sort des salariés de Bayonne leur a aussi fait froid dans le dos. Dans ces conditions, ils préfèrent sortir la tête haute avec la sensation d'avoir vécu une belle histoire. On peut parler d'arrachement.

3 Que va-t-il se passer à votre avis ?

C'est un grand point d'interrogation. D'un point de vue économique, cela fait très peur vu tous les développements que cela a permis à Pontonx. Les salariés sont-ils capables de faire quelque chose de cette histoire pour rebondir ? Sont-ils conscients des compétences qu'ils ont développées en vingt ans ? Ont-ils assez confiance pour redémarrer un autre projet sans Sony ? Les femmes, qui sont moins attachées à la sociabilité locale et moins représentées dans l'entreprise, joueront peut-être un rôle. Au-delà de la difficulté économique, c'est pour beaucoup la perte de soi et de sa sécurité sur le plan social qui est en jeu.

(1) « Entreprise et territoire. La modernité au service de la tradition : Sony et le monde des hommes ». Université Bordeaux II, 2006/2007.

Auteur : Propos recueillis par Emma Saint-Genez

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